Catherine Colomb
La Vénérable Mère  CATHERINE COLOMB
fondatrice du monastère de Sainte-Catherine-de-Sienne,  au Puy-en-Velay
(1537-1622)
Catherine Colomb  naquit au Puy, en 1537. Ses parents prirent grand soin de son éducation, et  l'enfant marcha sans difficulté dans le chemin de la vertu présenté à son  regard. A dix-sept ans, elle fut mariée à un honorable bourgeois du Puy, qui  mourut peu après. Catherine revint chez ses parents, et s'adonna, suivant son  attrait, aux pratiques de la piété. Sur le désir de sa famille, elle accepta la  proposition de messire Gervais de Poulaillon, seigneur de Peuzols, qui lui  offrait sa main. Le mariage conclu, elle se retira avec lui dans la petite  ville de Marvéjols, au diocèse de Mende, et n'eut rien tant à cœur que d'élever  dans la crainte de Dieu les dix enfants qui furent le fruit de leur union.
		        A  cette époque, l'hérésie de Calvin faisait de grands ravages en France. La ville  de Marvéjols fut une de celles qui éprouvèrent le plus la fureur des sectaires.  Ils la prirent, la mirent au pillage, et y firent de nombreux captifs, parmi  lesquels se trouvèrent M. de Poulaillon et sa femme. Non contents de s'être saisis  de leurs biens, les hérétiques tentèrent encore leur foi, et s'efforcèrent de  les amener à déserter la religion catholique. Ce fut en vain. Voyant que les  deux époux se fortifiaient mutuellement dans la fidélité à l'Eglise romaine,  les calvinistes les séparèrent. Le mari fut envoyé dans les prisons de Mende,  l'épouse resta dans celles de Marvéjols. Le Seigneur fit alors éclater la force  de son bras d'une manière dont il y a peu d'exemples.
		        François  de Poulaillon, un des enfants, âgé de seize ans à peine, touché de la détresse  de ses parents, les visitait en secret. Il se rendait d'une prison à l'autre,  leur portant les nouvelles réciproques de leur santé et de leur constance chrétienne:  ce qui les consolait extrêmement et les rassurait sur les faux bruits imaginés à  plaisir touchant leurs dispositions religieuses. Or, tandis que le jeune  adolescent s'acquittait d'un devoir si conforme à la piété filiale, Dieu permit  qu'il fût découvert et arrêté. On l'amena devant la mère, en disant à celle-ci  que son fils sera égorgé en sa présence, si elle ne renonce aux superstitions  romaines. L'héroïque chrétienne répondit: «Dussiez-vous nous faire souffrir  tous les tourments imaginables, ni la mort de mon fils, ni la mienne, ne  sauraient nous porter à renier la foi de notre baptême. C'est donc en vain que  vous nous menacez. Plus nous souffrirons pour Dieu, plus grande sera notre récompense  dans le ciel.» A peine eut-elle parlé, que l'on poignarda l'enfant sous les  yeux de sa mère. Pleine de vaillance, comme la mère des Machabées, la noble  dame exhortait son fils à mourir avec constance: elle lui montrait le ciel et  la couronne prête à ceindre son front. Puis, quand le jeune homme eut expiré,  l'héroïque femme, bien digne de vivre à jamais dans la mémoire des justes, éleva  encore la voix pour rendre grâces à Dieu. La prière de l'innocente victime au  pied du trône de l'Eternel obtint à ses parents un adoucissement dans leurs  maux et bientôt l'entière délivrance. Les deux époux souffrirent avec une  patience invincible les suites fâcheuses d'une soudaine pauvreté, car ils  avaient été totalement spoliés. Dieu ne tarda pas, du reste, a récompenser le  pieux gentilhomme de sa fidélité, en l'appelant à lui par une mort précieuse.
  
		        II. —  La noble veuve quitta Marvéjols et revint au Puy. Appliquée aux soins  domestiques, elle ne quittait l'éducation de ses enfants que pour s'adonner aux  bonnes œuvres. Elle visitait les prisonniers, servait les malades dans les hôpitaux,  assistait les pauvres honteux. Parfois elle recueillait dans sa maison des pécheresses  repentantes, et les suppliait à genoux d'avoir pitié de leurs âmes. Ses  paroles, accompagnées de sagesse et de modestie, ramenaient dans la voie du  bien celles mêmes qui avaient été les plus obstinées au mal. En outre, elle  avait un don merveilleux pour consoler les affligés, réconcilier les ennemis,  apaiser les querelles.
		        Afin  que la gloire qui suivait de près ses actes de charité n'enflât point son cœur,  Dieu tempéra cet éclat par les contradictions, les calomnies, les affronts,  apanage ordinaire de quiconque veut pratiquer la vertu au milieu du monde. On  osa dire que les quêtes imaginées pour les pauvres par Mme de Poulaillon lui  servaient à faire bonne chère avec les femmes retirées dans sa maison. On la  chargea d'injures et d'imprécations. Les enfants la poursuivaient dans les rues  avec des moqueries. Loin de la troubler et de l'aigrir, calomnies, affronts  publics lui procuraient une grande paix intérieure et l'engageaient à prier  pour les malheureux auteurs de tels outrages. Ses proches et jusqu'à ses  enfants s'élevèrent contre elle, la blâmant de ce qu'ils appelaient des excès  de charité, surtout à l'égard de mauvaises créatures. La sainte femme triompha  par sa patience de toutes les oppositions et continua sans respect humain sa vie  de dévouement.
		        Sur  les entrefaites, le Seigneur lui amena une compagne de bonnes œuvres. C'était  une personne de condition qui, après avoir été longtemps Dame d'honneur de la  Reine, désirait consacrer à Dieu seul le reste de ses jours. Toutes deux  s'excitaient à la ferveur. En peu de temps elles firent des progrès rapides  dans la vertu. Elles nourrissaient leur piété par des visites prolongées au  Saint-Sacrement et par des lectures spirituelles. Ensemble elles lurent la vie  de sainte Catherine de Sienne. Mme de Poulaillon en fut profondément  impressionnée, et même sentit naître au fond de son cœur le désir d'élever au  Puy un monastère en l'honneur de cette grande sainte. Elle communiqua sa pensée  à sa pieuse compagne, qu'elle trouva toute disposée à la seconder. Mais bientôt  la mort vint lui ravir cette amie précieuse. Catherine Colomb resta seule; privée  de ressources personnelles, elle ne pouvait plus songer à rien entreprendre.
		        Il  lui vint alors en pensée de former une petite association de personnes pieuses,  qui se réuniraient pour vaquer de concert à des exercices spirituels, sous le  patronage de sainte Catherine de Sienne. Ce projet du moins lui semblait réalisable.  Auparavant elle voulut prendre l'avis du Provincial des Frères-Prêcheurs, qui  se trouvait alors au Puy, pour faire la visite de son couvent de Saint-Laurent.  Le Provincial la dissuada. Il lui conseilla plutôt de poursuivre son premier  dessein: fonder un monastère pour des religieuses du second Ordre. Puis il  l'exhorta à se procurer tout d'abord la permission de l'évêque du Puy et celle  des Magistrats de la ville, enfin à trouver une fondatrice, si elle-même ne  pouvait l'être. On s'adresserait ensuite à Rome, pour obtenir l'autorisation du  Maître Général.
  
		        III.  — A partir de ce jour, la sainte femme se donna de tout cœur à l'Ordre de Saint-Dominique.  Elle prit sainte Catherine de Sienne pour mère, pour avocate et pour modèle,  elle s'appliqua avec un redoublement de zèle à ses œuvres de charité; mais  surtout elle cherchait les moyens de réaliser les trois conditions marquées par  le P. Provincial.
		        Catherine  fut longtemps sans réussir. Un jour qu'elle contait sa peine à un Père de la  Compagnie de Jésus, ce Père, pour l'encourager, lui cita l'exemple de la Mère  Thérèse de Jésus, encore vivante, qui, sans avoir aucune ressource, fondait  cependant quantité de monastères du Carmel. La pieuse dame conçut alors le désir  d'écrire à cette sainte Mère; le religieux promit de faire parvenir sa lettre  et de lui faire aussi tenir la réponse. Elle écrivit donc à l'illustre réformatrice  du Carmel, la priant en même temps, si Dieu faisait connaître qu'il n'agréait  pas son dessein, qu'elle voulût bien la recevoir dans une de ses maisons. Sainte  Thérèse répondit que, malgré de grands obstacles, l'entreprise réussirait.
		        Transportée  de joie à cette nouvelle, Catherine interroge les dispositions de ses deux  filles. Elle trouve l'aînée bien décidée à se faire religieuse, et comme sa dot  pouvait s'élever à cinq ou six mille livres, les commencements de l'œuvre  paraissaient assurés. Pleine de confiance, elle courut en informer son  confesseur; mais celui-ci la renvoya, en lui disant de ne plus penser à la  fondation. Cette parole fut comme un glaive qui lui fendit le cœur. Suivant son  habitude en pareilles circonstances, la pieuse veuve alla se consoler aux pieds  de la sainte Vierge, dans l'église de Notre-Dame. Peu à peu le calme revint ;  elle retrouva même un ferme espoir de voir arriver à bonne fin la fondation du  monastère. Cet instant de consolation devait être promptement suivi d'une déception  nouvelle, plus amère peut-être que la précédente.
		        Nous  avons vu sa fille disposée à embrasser la vie religieuse; mais elle préféra  entrer dans une maison plus éloignée de sa famille, et par l'intermédiaire d'un  Jésuite, son confesseur, sollicita une place au monastère dominicain de Sainte-Praxède  d'Avignon. Par le départ de sa fille, la pauvre mère retombait dans ses  angoisses et se trouvait réduite à l'impuissance de couvrir les frais de l'œuvre  naissante. Elle se rendit à la Basilique angélique pour prier Marie et y reçut  la sainte communion.
		        Au  moment où le prêtre lui donnait la sainte hostie, la servante de Dieu sentit  l'espérance renaître en son cœur. Il lui sembla que Notre Seigneur lui disait  intérieurement: «Eh bien! tu as perdu ta fille, sur qui tu comptais comme sur  le seul moyen d'établir ton œuvre. Tu crois maintenant tout perdu, parce que tu  n'as rien. Sache cependant que le monastère se bâtira et je ne te ferai pas  longtemps attendre.»
		        Catherine  s'adressa alors à ses proches et à ses amis, les priant de lui aider à chercher  un emplacement convenable. Le chanoine Colomb, son neveu, ayant appris les  projets qu'elle poursuivait depuis une dizaine d'années déjà, et les nombreuses  difficultés qui les avaient constamment traversés, prit compassion d'elle et  lui promit une assistance efficace. Dans l'enclos même de Notre-Dame, il découvrit  un terrain qui relevait des chanoines et appartenait à la vicomtesse de  Polignac. Il lui conseilla d'en faire la demande. Tout auprès se trouvait la  chapelle de Saint-Pierre-le-Vieux: le don du terrain entraînerait facilement  celui de la chapelle, qui appartenait également à l'honorable famille de  Polignac. Enfin il lui promettait une maison attenante, dont lui-même avait la  jouissance.
		        Sur  cet avis, la pieuse dame, munie du pain des forts, se rendit à Polignac pour  parler à la vicomtesse. Pendant tout le trajet, elle ne cessa de se recommander  à Dieu et à sainte Catherine.
		        La  vicomtesse l'accueillit avec grande bienveillance. Peu de jours après, elle lui  faisait savoir qu'elle lui donnait purement et simplement la maison et l'église  dont nous avons parlé. Il fallait maintenant aller trouver l'évêque Mgr Jacques  de Serres. Cette démarche lui coûta beaucoup. A la fin, prenant courage,  l'humble fondatrice se présente au palais épiscopal. Le divin Maître donna tant  de bénédiction à ses paroles que le prélat accorda sur-le-champ ce qu'on lui  demandait. Il fit plus: lui-même daigna s'employer pour décider les chanoines à  céder la maison qui relevait du Chapitre; peu après, il obtenait encore des  principaux de la ville la permission de fonder le monastère.
IV. —  Pendant que se poursuivait le cours des négociations, ce n'étaient par toute la  ville que critiques et railleries. Chacun se faisait un jeu de plaisanter la  fondatrice, quand on la rencontrait. Sans s'émouvoir, Catherine Colomb  continuait d'agir. Toutes les permissions obtenues, il fallait songer à bâtir.  Mais comment s'y prendre, les ressources manquant? Elle fut pourtant assez  heureuse pour trouver des ouvriers disposés à lui faire crédit. Tout aussitôt  les risées de reprendre leur train. Quand on voulait apporter un exemple de  folie, on alléguait l'entreprise de Mme de Poulaillon : facta est  illis in parabolam. Aux critiques méchantes vint se joindre un ennemi d'un  autre genre. Catherine éprouva un grand embarras, lorsque après quelques  semaines de travaux, les ouvriers réclamèrent leur salaire. Dans cette  extrémité, elle eut recours à la Sainte Vierge et alla se jeter à ses pieds  dans l'église Notre-Dame. Comme elle sortait de la basilique, un jeune homme  inconnu s'offrit à elle et lui remit une bourse pleine de monnaie. Elle  l'ouvrit avec émotion et trouva juste la somme dont elle avait besoin. Les  travaux continuèrent : critiques et railleries reprirent aussi de plus belle.
		        Mme  de Poulaillon avait deux fils Capucins, en résidence à quelques lieues  seulement. Ayant appris les bruits qui circulaient sur leur mère, ils firent  exprès le voyage du Puy pour la dissuader de poursuivre son dessein. Arrivés  près d'elle, ils déployèrent toutes les ressources de leur esprit, opposant des  raisons contraires à toutes ses allégations, si bien qu'à bout d'arguments, la  sainte femme se déclara prête à suivre leurs sentiments si, après qu'ils  auraient dit la messe à l'autel de Notre-Dame et qu'elle aurait communié de la  main de l'un d'eux, tous les trois demeuraient d'accord sur l'abandon de  l'œuvre.
		        La  proposition fut acceptée, et le lendemain les deux religieux se rendirent à  Notre-Dame. Or, comme ils offraient les saints mystères, ils virent l'un et  l'autre, en esprit, aussitôt après l'élévation du calice, deux religieuses  dominicaines entrer dans le chœur des chanoines et venir se prosterner devant  l'autel de Notre Dame. En même temps, sept autres vierges pénétraient dans  l'église par diverses portes, et une voix intérieure disait aux deux prêtres: «Les  religieuses de votre mère seront comme celles-là, et plusieurs vierges  viendront de divers lieux pour entrer dans son monastère.» De son côté, la mère  eut la même vision et au même moment. A elle la voix disait: «Tes religieuses  seront comme celles-là, et plusieurs vierges viendront de divers lieux pour  entrer dans ton monastère.»
		        Les  messes finies, les deux religieux revinrent chez leur mère. Pendant le repas,  tous les trois gardaient le silence. La mère par modestie n'osait révéler ce  qu'elle avait vu. Les fils, de leur côté, après s'être si ouvertement prononcés  contre le projet de leur mère, n'osaient raconter le mystère de leur vision. A  la fin, s'armant de courage, Catherine rompit le silence: « Eh bien!  demanda-t-elle, vous ne me dites rien des lumières que Dieu vous a données  touchant la fondation?» Tous deux répondirent d'une seule voix: «Elle se fera;  poursuivez-en avec constance l'accomplissement.» Catherine leur raconta alors  ce qu'elle avait vu, pendant qu'ils célébraient la messe, et les paroles qui  avaient retenti à son oreille. Ils en furent fort surpris et avouèrent avoir  eu, eux aussi, une vision toute semblable. La volonté de Dieu se manifestait  clairement: bien loin de s'opposer encore au dessein de leur mère, ils furent,  dès ce moment, les plus ardents à l'encourager.
		        V. —L'œuvre  néanmoins marcha lentement. Après cinq années écoulées, il n'y avait presque  rien de construit. Aussi plusieurs jeunes filles qui s'étaient d'abord  attachées à Mme de Poulaillon, tournèrent-elles leurs vues en des  sens différents. L'une d'elles, Mle Fiant, se résolut à entrer chez  les Bernardines d'Avignon. Comme son père devait la conduire dans cette ville,  notre pieuse veuve pria ce Monsieur de vouloir bien, au retour, lui amener deux  religieuses de Sainte-Praxède. En même temps elle envoyait à nos Sœurs  d'Avignon connaissance des permissions obtenues pour la fondation en projet, et  faisait savoir ce que la vicomtesse de Polignac avait personnellement accordé.  Puis, elle s'occupa de faire quelques préparatifs, suivant ses modestes  ressources, emprunta des lits, en sorte qu'à leur arrivée, les bonnes religieuses  trouvassent un abri convenable.
		        M.  Piant amena, en effet, les deux Sœurs d'Avignon, appelées Jeanne de Bermond et  Madeleine Chervet. L'une devait être Prieure, l'autre Maîtresse des novices.  Elles arrivèrent au Puy, le 9 juillet 1605, à la grande joie de l'évêque et de  la ville entière, mais surtout de la courageuse fondatrice. Au milieu de  l'applaudissement général, Dieu voulut cependant lui ménager l'épreuve.  Catherine s'était persuadée que la fatigue d'un long voyage serait pour les  deux Sœurs une raison de rompre l'abstinence prescrite par la règle, et elle  leur avait préparé un repas gras. Mais les pieuses filles refusèrent d'y  toucher et voulaient se contenter de pain sec. Grand fut l'embarras de la  sainte veuve: il lui restait en tout quatre deniers. Dieu prit en pitié sa  détresse, et inspira à ses nièces de fournir dans la circonstance tout ce qui  était nécessaire.
		        Le  lendemain, les deux Mères se rendirent à la cathédrale offrir à Marie et à son  divin Fils les prémices des observances claustrales du monastère naissant.  Elles firent ensuite visite au seigneur Evêque, qui les reçut fort aimablement,  puis revinrent à leur humble demeure. Elles restèrent encore le jour d'après  sans la clôture, et le surlendemain fermèrent sur elles les portes du siècle,  prenant dans leur compagnie Catherine Colomb, la vénérable fondatrice.
		        Ainsi  étaient couronnés les labeurs de vingt-cinq années, labeurs soutenus  généreusement, sans défaillance, par l'humble femme appelée d'en-haut à devenir  la pierre fondamentale d'un saint et grand édifice.
		        La  clôture établie, les trois servantes de Dieu inaugurèrent, comme elles purent,  la célébration de l'Office divin et les autres observances religieuses.  Quelques jours après, entrèrent deux jeunes filles: l'une, appelée Paule  d'Agard, pour être sœur de chœur; l'autre Alice Chabanon, comme sœur converse.  Elles reçurent le saint habit, le jour de la fête de saint Dominique, en même  temps que la fondatrice, âgée de soixante-huit ans. La veille de sa vêture, la  noble postulante avait remis tout son avoir, environ quatre sols, entre les  mains des Mères directrices. «J'apporte bien peu, dit-elle, mais si nous  servons Dieu fidèlement, rien ne nous manquera.» Puis, se tournant vers le  crucifix: «Seigneur Jésus, dit-elle, je vous prie d'accepter mon faible don  comme vous reçûtes les deux deniers de la veuve de l'Evangile. Si j'avais cent  royaumes, je vous les offrirais, mais non d'un meilleur cœur; dès à présent je  m'offre moi-même à vous pour faire la volonté d'autrui. J'abandonne la mienne  entre les mains de mes supérieures; je neveux plus penser qu'à vous aimer de tout  mon cœur. Je vous le donne, ce cœur, comme ma mère, sainte Catherine, vous  donna autrefois le sien.»
		        Dieu  montra qu'il acceptait cette généreuse offrande, en faisant prospérer l'œuvre  naissante. Trois nouvelles postulantes ne tardèrent pas à se présenter.  Celles-ci furent suivies de trois autres. Bientôt la plus grande noblesse  compta des membres dans ce monastère. En 1622, dix-sept ans seulement après la  fondation, on avait enregistré déjà quarante-sept vêtures. Quelques années plus  tard, en 1646, après avoir déjà envoyé des essaims à Saint-Etienne et à  Viviers, la maison du Puy possédait encore quarante-huit religieuses, dont  trois sortaient de l'illustre famille de Polignac.
		        Les  progrès intérieurs ne furent pas moins admirables. «La vie régulière, écrivait  à cette époque Jean de Sainte-Marie, la vie régulière, la dévotion au  Saint-Sacrement et à la Sainte Vierge, l'union et la paix, l'oraison et le  silence, l'affection à l'Ordre de Saint-Dominique, ont établi leur temple  d'honneur dans cette maison. Au Rosaire perpétuel le monastère contribue, à lui  seul, pour deux mille et plusieurs centaines d'heures dans l'année.»
VI. —  Catherine Colomb fut l'un des plus fermes appuis de la piété dans le cloître  qui lui devait son existence. Sa ferveur ne se démentait pas. Déjà, parmi le  tourbillon du siècle, elle avait fait de grands pas dans le sentier de la vertu;  à la voir maintenant courir avant tant de hâte, on eût cru qu'elle ne faisait  que d'y entrer. Agée de soixante-dix ans et accablée d'infirmités, elle reçut  du Maître Général dispense du jeûne, de l'abstinence et des autres observances  pénibles; elle n'usa de cette dispense que dans les cas d'un extrême besoin.
		        Le  démon, jaloux d'une ferveur si marquée, s'efforça d'en arrêter le cours. Il  représenta à la servante de Dieu qu'elle ne faisait plus rien en comparaison de  ses œuvres d'autrefois, alors que, vivant dans le siècle, elle visitait les  malades, soulageait les pauvres, travaillait à convertir les pécheresses  publiques. La tentation fut violente et subtile. Catherine faillit y succomber.  Son confesseur démasqua les ruses de l'ennemi, et lui fit comprendre que ses  meilleures œuvres au sein du monde n'étaient pas comparables à la fondation  d'un monastère, asile béni où, pendant des siècles, des vierges chrétiennes,  délivrées de la puissance de leurs adversaires, serviraient Dieu sans crainte  dans la sainteté et la justice, marchant en sa présence tous les jours de leur  vie. Qu'au reste, dans le monde, elle n'aurait donné au Seigneur que son  travail et des biens extérieurs, tandis qu'en religion elle s'était donnée elle-même  d'une façon irrévocable: offrande d'un prix infini aux regards de Dieu. Il n'en  fallut pas davantage pour dissiper la tentation. Humble, simple, modeste, loin  de souhaiter la supériorité, moins encore de vouloir la perpétuer dans sa  personne, comme on le vit parfois en certaines fondatrices, Catherine n'ambitionnait  que la dernière place, désireuse uniquement de ne commander à personne, de  servir ses Sœurs et de ne jouir parmi elles d'aucune considération ni estime.  Les seules charges qu'elle eut à exercer furent celles de Maîtresse des  novices, pendant quelques mois seulement, et de Vicaire de la communauté.
		        Avec  quelle sainte avidité, la servante de Dieu recherchait les humiliations et les  mépris! Voyait-elle une religieuse accomplir une pénitence en public, aussitôt  elle courait se jeter aux pieds de la supérieure pour obtenir d'en faire une  semblable. Un jour, la Mère Prieure, exagérant à dessein, lui reprocha  démontrer son orgueil partout et de ne point se connaître elle-même. «II est  vrai, ma Mère, répondit Catherine, je ne me connais pas et suis toute pleine  d'orgueil. Mais, donnez-moi pénitence, je vous prie, et ordonnez que mes sœurs  me disent mes défauts, pour que j'apprenne à me connaître et que je travaille à  me corriger.»
		        Amie  de la pénitence, elle traitait durement son corps, lui refusant tout  soulagement non indispensable. Elle garda sa règle inviolablement jusqu'à l'âge  de quatre-vingt-cinq ans. Le dernier vendredi de son existence, elle jeûna  encore au pain et à l'eau. Loin de contrevenir aux prescriptions de ses  supérieures ou d'en murmurer même intérieurement, elle s'y soumettait à  l'aveugle, avec autant d'empressement que si Dieu même les lui eût intimées.  Elle eût voulu avoir des ailes pour voler aux endroits où l'obéissance  l'appelait ; aussi, dans ses maladies, lorsqu'elle entendait sonner la cloche,  elle priait la sœur infirmière de la laisser, pour se rendre à l'exercice dont  le signal retentissait. Très grande était sa pauvreté. Un chétif grabat, un  escabeau et un crucifix de bois formaient tout l'ameublement de sa cellule.  Elle aimait à porteries habits les plus grossiers et les plus usés. Avant de  s'en revêtir, elle les baisait, en disant : « Je te salue, sainte pauvreté!»  Puis, regardant son crucifix, elle ajoutait: «Mon Dieu, je suis encore plus  riche que vous, qui êtes nu sur la croix.» — «Pourquoi aimez-vous tant la  pauvreté?» lui demanda-t-on un jour. — «C'est répondit-elle, pour imiter notre  Père saint Dominique.» Dans cet esprit, la Mère Colomb était d'une sobriété  extrême. Ce qu'on servait au réfectoire, abondant ou frugal, froid ou chaud,  savoureux ou insipide, la contentait. — «Les pauvres, disait-elle, ne se  montrent pas difficiles; ils acceptent avec reconnaissance ce qu'on leur donne.»  Encore, malgré son exactitude à pratiquer la pauvreté, craignait-elle de ne pas  faire assez. «J'ai peur, disait-elle, que Dieu ne me fasse rendre compte de ce  qu'ayant fait vœu de pauvreté, je n'endure rien pour l'observer.»
VII.  — Non moins admirables étaient là foi, l'espérance, la charité, la patience, la  douceur, toutes les autres vertus de la servante de Dieu. Nous l'avons vue les  pratiquer excellemment dans le siècle; après son entrée au cloître, elle s'y  exerça avec un éclat nouveau.
		        La  foi la guidait en toute chose. Elle désirait pareillement que les sœurs se  conduisissent par le même principe, tant au spirituel qu'au temporel. «Mes  chères enfants, disait-elle à celles de ses novices qui éprouvaient de la peine  à observer leurs règles, mes chères enfants, ayez grande foi en Dieu; il vous  assistera, il vous donnera la force nécessaire, dissipera vos tentations.»
		        Les  jeunes Sœurs se préoccupaient-elles des ressources matérielles, la pieuse Mère  les animait à la confiance. «Dieu nourrit toute chair, disait-elle, il donne la  pâture aux petits oiseaux ; c'est pourquoi demandez, cherchez, frappez à la  porte avec une grande foi, et vous recevrez, vous trouverez, on vous ouvrira.»  — Ou encore: «Ne vous affligez point, prenez confiance en la bonté de Dieu;  jetez en son sein toutes vos inquiétudes: il aura soin de vous.»
		        L'espérance  de la Vénérable Mère dans les biens éternels avait une force encore plus vive  et une fermeté plus assurée, On ne pouvait lui parler des joies célestes sans  la mettre en quelque façon hors d'elle-même.
		        «L'espérance  de jouir de vous, ô mon Dieu, s'écriait-elle, fait que je supporte la  prolongation de mon exil; mais quand donc, Seigneur, aurai-je ce bonheur?» — «Travaillez  avec ferveur à servir Dieu, disait-elle à ses filles; ne vous lassez jamais, en  considérant la récompense qui vous attend. Si le dérnon vous tente, s'il vous  représente ce que vous avez quitté dans le monde et ce que vous avez à souffrir  en Religion, rappelez-vous cette parole du divin Maître: Quiconque aura renoncé  à tout pour l'amour de moi, aura la vie éternelle. Ce souvenir, mes filles,  doit éloigner toute tentation et vous animer à embrasser courageusement la  pénitence.»
		        Mais  la vertu qui a paru avec le plus d'éclat dans la V. Mère, c'est l'amour pour  Dieu et pour le prochain.
		        D'ordinaire  elle appelait Notre Seigneur «son ami», son «bien-aimé». — Je connais si bien,  disait-elle, la bonté de mon Bien-Aimé, que je voudrais avoir tous les cœurs  des Bienheureux pour l'aimer; je voudrais, si c'était possible, faire au dépens  de ma vie que tout le monde l'aimât.» Si grande était son union à Dieu, qu'elle  n'en perdait pour ainsi dire jamais la présence. «Je ne m'étonne pas,  disait-elle encore, qu'au seul nom de Dieu, tel et tel saint soit tombé dans le  ravissement, puisque moi-même, pourtant si misérable, j'éprouve de si grands  sentiments en songeant au Bien-Aimé de mon cœur!»
		        L'oraison  faisait ses plus chères délices; elle se retirait ordinairement au chœur pour  vaquer à ce saint exercice en présence du Saint-Sacrement. A l'Office  liturgique, elle chantait avec une ferveur, un recueillement, un entrain qui  édifiaient les Sœurs. — «Mon Dieu, disait-elle quelquefois, si j'avais la voix  des Anges, comme je l'emploierais à vous louer! Que ne puis-je, avant de  mourir, voir le chant de l'Office introduit dans ce monastère!» Elle eut ce  bonheur; le monastère s'étant peuplé rapidement, ainsi qu'on l'a dit plus haut,  on ne tarda pas à inaugurer la solennité de la psalmodie chorale.
		        Le  zèle de la V. Mère pour la gloire de Dieu lui faisait dire encore: «Les  missionnaires et les docteurs sont comme des flambeaux ardents et lumineux qui  éclairent les fidèles et allument dans leurs cœurs le feu de l'amour divin! Oh!  que ne puis je ce qu'ils font!» Elle se consolait cependant dans son impuissance,  en offrant à Dieu ses souffrances et ses prières pour les prédicateurs de  l'Evangile; et quand elle apprenait la mort de l'un d'eux, quoiqu'elle n'eût eu  avec lui aucune liaison personnelle, elle déplorait sa perte à cause du  détriment que la sainte Eglise pouvait en recevoir. De bon cœur elle eût  sacrifié mille vies pour le salut d'une seule âme. Elle souhaitait surtout et  demandait instamment à Dieu l'extinction de l'hérésie et la paix dans le  royaume de France. Le Seigneur exauça en partie ses supplications. Peu de temps  avant de mourir, sœur Catherine eut la consolation de voir le calvinisme non  pas éteint, mais abattu, et le royaume pacifié. En apprenant ces heureuses  nouvelles et en entendant lire les articles dressés pour la paix générale entre  les citoyens, elle s'écria: «C'est maintenant, Seigneur, que vous pouvez laisser  votre servante aller en paix!»
		        La  Mère Colomb fut favorisée de nombreuses grâces extraordinaires, entre autres du  don de prophétie. Elle connut surnaturellement plusieurs choses concernant son  monastère. Avant qu'elle traitât officiellement de la fondation, se promenant  un jour sur le futur emplacement du monastère, elle dit à quelques personnes: «Voilà  des maisons qui seront données au monastère.» II en fut ainsi. Elle prédit  qu'une de ses petites-nièces serait religieuse à Sainte-Catherine. Plus tard,  les parents de l'enfant révoquèrent en doute la prédiction, en voyant leur  fille grandir dans l'amour du monde. Catherine maintint ses affirmations et  l'événement lui donna gain de cause.
		        Recommandait-on  à ses prières des malades en danger de mort, ou quelque affaire importante,  elle se rendait aussitôt à l'église, et, sa prière achevée, assurait que telle  chose arriverait ou non. Jamais sa parole ne fut prise en défaut.
		        De  toutes ces connaissances prophétiques la plus avantageuse pour la servante de  Dieu fut celle de sa mort. Une des religieuses avec qui elle avait pris l'habit  étant venue à décéder, Sœur Colomb dit à la Prieure: «Ma Mère, il faut que je  m'en aille rejoindre ma compagne.» Sur les entrefaites, elle tomba malade. En  entrant à l'infirmerie, elle déclara qu'elle n'en sortirait plus. Le reste de  sa vie ne fut plus qu'une préparation immédiate au passage suprême.
		        La  sainte femme témoigna un grand désir d'aller à Dieu et une vive reconnaissance  pour ses bienfaits. Ensuite, elle recommanda aux sœurs la perfection de leur  état, l'observance des règles, l'amour des croix et des souffrances, qui  seules, dit-elle, sont les clefs du Paradis. Elle ajouta: «Certaines âmes  n'estiment que les ravissements et les consolations spirituelles: ces choses  sont bonnes, il est vrai, et quand le Seigneur nous en favorise, il faut les  recevoir avec action de grâces. Pour moi, rien ne me paraît aussi estimable que  de souffrir pour Dieu et de vouloir sa sainte volonté. Le chemin de la Croix  est toujours le plus direct. Nous arriverons sûrement au terme de la félicité  éternelle, si nous suivons fidèlement les ordres de la Providence.» Après avoir  reçu le saint Viatique et l'Extrême-Onction, elle demanda pardon aux Sœurs,  leur promit son assistance au ciel et dit encore: «Travaillez pour Dieu, vous  en serez récompensées à l'heure de la mort.» Ce fut sa dernière parole. Peu après,  elle entra en agonie et expira doucement vers trois heures du matin, le il  novembre 1622. Elle était âgée de 85 ans.
		        Une  beauté céleste se refléta sur son visage et ses membres demeurèrent souples  jusqu'à la mise au cercueil. Sept ou huit ans plus tard, la tombe de sœur  Catherine Colomb ayant été ouverte, ses pieds furent trouvés intacts: on  attribua cette conservation miraculeuse à la dévotion de la V. Mère pour le  Saint-Sacrement, dont elle n'approchait que pieds nus. Sur l'avis du  confesseur, on les détacha du squelette, pour les déposer comme une relique  dans une cassette précieuse.
		        Trois  jours après le trépas de Catherine Colomb, sa gloire au ciel fut révélée à une  religieuse du monastère; mais, chose plus digne de remarque, au rapport de la  Mère Louise Bourgeat, décédée en opinion de sainteté au monastère de Langeac  dont elle fut la fondatrice, la V. Agnès de Jésus, sortant d'une extase, s'écria  dans un transport de joie: «J'ai vu la gloire que possède dans le Paradis la  Mère Catherine Colomb, fondatrice du monastère de Sainte-Catherine du Puy. Oh!  qu'elle est grande au ciel!»